Les travaux de l’INED sur l’enseignement supérieur fournissent les statistiques suivantes :
Les calculs montrent qu’un fils de salarié agricole a 1 chance sur 100 d’accéder à
l’enseignement supérieur, un fils d’industriel 70 chances sur 100, un fils de profession
libérale plus de 80 chances sur 100.
Ainsi, alors que la population active est composée d’une proportion bien plus importante d’ouvriers et d’employés que de cadres supérieurs et de professions libérales, la population étudiante est composée inversement d’une très forte proportion d’enfants de cadres supérieurs et de professions libérales et fort peu d’enfants d’ouvriers. On parle d’une sur-représentation de certaines catégories dans la population étudiante par rapport à la population active.
Le calcul statistique de probabilités, pour les jeunes de chaque catégorie sociale en âge d’entrer à l’université, d’y entrer effectivement est ce que Bourdieu et Passeron nomment le calcul des probabilités objectives, rendant compte du rapport entre CSP et enseignement supérieur. Mais ces calculs sont limités pour rendre compte de la réalité étudiante. Ils ne permettent pas de voir les mécanismes internes à l’université de relégation de certains étudiants dans certaines disciplines ni le retard ou le piétinement dans les études.
Un second calcul, celui des probabilités conditionnelles consiste à mesurer, parmi les étudiants de chaque CSP, la manière dont ils se répartissent dans les différentes disciplines.
En effet, jusqu’alors, tout était perçu comme si, la sélection s’étant faite dans le primaire et le secondaire et, une fois le baccalauréat obtenu, les étudiants étaient tous semblables face aux études et seuls les critères de nature individuelle (capacités intellectuelles, goûts, caractéristiques psychologiques...) intervenaient à nouveau, avec l’argent bien sûr, dans leur choix.
Les résultats de la recherche :
Bourdieu et Passeron montrent plusieurs phénomènes relevant de l’analyse sociologique et non du hasard :
• Les garçons sont plus nombreux à se diriger vers les études de sciences et les filles
plus nombreuses vers les études de lettres.
• À la faculté des sciences, les garçons choisissent des options leur ouvrant des
carrières de chercheur, de technicien ou d’ingénieur, les filles des options les
dirigeant vers l’enseignement.
• Ces deux phénomènes d’orientation « spontanée » selon la variable sexe
augmentent à mesure que l’on descend dans la hiérarchie des Catégories
socioprofessionnelles.
• À la faculté de lettres (considérée dans les années 60 comme lieu de « LA »
culture car productrice de l’intelligentsia de notre société) se trouvent sur les
mêmes bancs deux sortes d’étudiants : ceux qui ont été, dans leurs études
secondaires, brillants mais aussi un certain nombre d’étudiants dont la scolarité
passée a été médiocre.
• L’analyse de la scolarité passée révèle que si les anciens élèves brillants viennent
de CSP diverses, les anciens médiocres viennent tous de CSP aisées.
• En somme, à la faculté de lettres, il y a des « brillants aisés », des « brillants
modestes » mais aussi des « médiocres aisés ».
• À travers les entretiens menés auprès des étudiants, les auteurs mettent en
évidence l’existence d’un modèle idéal étudiant, commun à tous, constitué de
dilettantisme, d’hédonisme, d’esthétisme et de culture générale (c’est à dire non
strictement scolaire).
En faisant apparaître l’intervention de la variable sexe et de la variable catégorie socioprofessionnelle d’origine dans les parcours étudiants et en montrant que ceux qui arrivent à la faculté de lettres ont des niveaux scolaires différents, les auteurs soulèvent la question des moyens réels de la réussite scolaire.
Explications théoriques :
Bourdieu et Passeron répondent par le lien existant entre plusieurs éléments :
– la notion de probabilité subjective ;
– la restriction dans le choix des études ;
– la faculté des lettres comme lieu de la culture.
La probabilité subjective :
Au croisement de l’approche sociologique et de l’approche psychologique, la probabilité subjective est l’intériorisation que fait chaque individu des chances objectives qu’a son groupe face aux parcours scolaires. Cette intériorisation se traduit par des représentations des parcours scolaires et universitaires en termes de « normal, possible, impossible » ; Ces représentations se construisent dans le milieu d’origine, sont entretenues par les exemples « vécus » des autres membres du groupe, servant de modèles à chacun.
Cette probabilité subjective entraîne ce que Bourdieu et Passeron appellent une restriction dans le choix des études « raisonnablement envisageables » ; « raisonnablement » c’est à dire des études ayant une finalité socioprofessionnelle perceptible et donnant un sens à la durée et au type d’études envisagées : À quoi çà sert?
Cette restriction s’exerce dans chaque CSP, en valorisant certains parcours et en en dévalorisant d’autres ; ainsi chaque groupe définit un éventail différencié de disciplines de formation, éventail raisonné, c’est à dire justifié par le discours de la catégorie, discours construit sur l’expérience, la vision du monde social et économique et la manière dont les membres de cette catégorie inventent et formulent des stratégies de positionnement dans le champ social.
Exemple la faculté des lettres :
La faculté des lettres va se présenter en effet comme l’accomplissement d’un parcours réussi pour les CSP les plus modestes. Par contre, cette même faculté de lettres va permettre aux élèves moyens de CSP aisées de « se réfugier » (B&P parleront ainsi de « faculté-refuge ») dans des études qui leur évitent un déclassement social.