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    Lien père-bébé de Jean Lecamus

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    normal Lien père-bébé de Jean Lecamus

    Message par Darkzapatiste Lun 15 Sep 2008 - 9:22

    On a déjà beaucoup écrit sur la genèse des liens inconscient et conscient qui organisent le rapport père-fils et le rapport père-fille aux différentes phases de l’évolution psychologique de l’enfant, de l’adolescent et du jeune adulte: les psychanalystes en particulier y ont consacré une bonne part de leur réflexion théorique et de leurs travaux cliniques. Par contre, nous manquons encore d’études systématiques sur les origines et la mise en place de la relation père-enfant au cours du premier stade de la psychogenèse (la phase pré-oedipienne), période classiquement conçue comme dominée par l’importance de la mère. Dans le sillage de Lebovici (1983) et de Cyrulnik (1989), je voudrais contribuer à combler cette lacune et l’article qui suit se propose d’envisager quelques-unes des questions relatives à la nature du lien du jeune enfant à son père (tie to his father) et aussi, complémentairement, quelques-unes des questions relatives à la nature du lien originel du père à son enfant. C’est dire qu’on explorera seulement une petite partie du champ de ce qu’on a coutume d’appeler le sentiment filial d’un côté et le sentiment paternel de l’autre. C’est dire, par ailleurs, qu’on simplifiera les choses en distinguant d’une part ce qui relève de la théorie de l’attachement, d’autre part ce qui relève d’une approche multdimensionnelle de la présence et de l’influence précoces du père. Le mode d’abord privilégié dans l’ensemble de l’analyse et de la critique sera celui de la psychologie du développement.


    Le lien de l’enfant à son père

    C’est bien sûr pour faire écho à l’intitulé de l’article fondateur de Bowlby (Le lien de l’enfant à sa mère, 1958) que j’ai choisi le titre de cette première partie. Un titre dont l’accent provocateur est moindre qu’il n’y paraît à première vue car il y a bien longtemps que la théorie de l’attachement a cessé d’être réduite à une simple conception scientifique des origines du lien à la mère et qu’elle a commencé à faire mention du lien au père (Neyrand, 2000). Sous l’impulsion de Schaffer et Emerson (1964) créateurs de la notion d’attachement multiple, puis d’Ainsworth (1967) créatrice de la notion de hiérarchie des figures, Bowlby a rapidement admis que, aux âges de 12 ou 18 mois, le bébé pouvait trouver en son père une figure d’attachement... son père, au même titre que ses grands parents, ses frères ou ses soeurs, plus généralement toute personne vivant dans l’entourage de l’enfant et prenant part aux activités de « soins » (caregiving). L’ouvrage majeur de Bowlby (1969) confirme la priorité habituelle de la « figure maternelle» comme base de sécurité mais il n’est plus question cette fois de «monotropie», à savoir d’exclusivité maternelle. L’auteur montre qu’il a su assouplir sa position doctrinale de 1958 et qu’il ne réserve plus la fonction de protection et de consolation à la seule mère. Les études expérimentales inaugurées par Kotelchuck au début des années 1970 (Lester, Kotelchuck, Spelke et al., 1974; Cohen et Campos, 1974; Ross, Kagan, Zelazo et al., 1975; Feldman et Ingham, 1975) ont confirmé qu’en contexte paternel on pouvait observer la réaction de protestation lors de courtes séparations provoquées et la réaction d’apaisement lors des retrouvailles (cette découverte nous semble d’une grande banalité aujourd’hui mais, en 1970, elle prenait la forme d’un véritable scoop scientifique !). Dès cette époque aussi a germé l’idée que le moyen le plus approprié à la mise en évidence des spécificités paternelles dans ce domaine était l’utilisation du paradigme de la comparaison des interactions mère-bébé et père-bébé. Ce rappel historique étant clos, je vais examiner les avancées successives de la recherche relative au problème de l’attachement de l’enfant à son père : les découvertes essentielles seront regroupées autour de cinq sous-thèmes (1 à 5).
    Les degrés du pouvoir de consolation
    La première question qu’on s’est posée aux USA portait sur l’efficacité comparée du soutien émotionnel apporté par les deux parents: le père est-il aussi réconfortant que la mère quand l’enfant manifeste le désir d’être rassuré? Cette question émergeait dans un contexte sociologique encore marqué par une forte séparation des rôles parentaux: mère nourricière, quasiment confinée dans les tâches domestiques et les soins aux enfants (houseworker); père pourvoyeur économique, presque uniquement investi dans le monde extra-familial (breadwinner). Dès lors, on ne surprendra personne en signalant que la réponse donnée en 1975-1980 était à double détente: plutôt positive quand on faisait référence aux situations banales de la vie quotidienne (le bébé appréciant d’être câliné par ses deux parents) ; plutôt négative lorsqu’on évoquait les situations difficiles à supporter par l’enfant (fatigue, maladie, présence d’une personne peu familière ou inconnue). Dans ces derniers cas affirmait Lamb (1977), la « supériorité » de la mère ne faisait plus de doute: s’il pouvait choisir, c’est vers la mère et non vers le père que l’enfant se réfugiait en priorité. Les observations d’alors venaient finalement confirmer le point de vue initial d’Ainsworth: le plus souvent, c’est la mère qui incarne la figure d’attachement « principale » et le père vient au second rang. Lamb fut même conduit à admettre que cette règle valait aussi dans les cas où le bébé avait bénéficié d’un investissement accru du père (primary caregiver): c’est du moins la conclusion qui s’imposait dans l’étude des familles suédoises où le congé parental avait été pris par le père et où ce dernier avait donc fait preuve d’une implication soutenue (Lamb, 1983). Le caractère materniste des conceptions de l’attachement était encore nettement prévalent à cette époque: on en trouvera la preuve dans le fait que lors du célèbre colloque épistolaire organisé par Zazzo en 1974, aucun des cliniciens ou des chercheurs invités n’a évoqué le problème de l’attachement de l’enfant humain à son père (seul Harlow fit allusion à l’existence d’un système d’affection paternel...chez les singes). En 1974, l’heure des pères n’avait pas encore sonné !


    Les modalités qualitatives de l’attachement


    Après que le concept d’implication accrue du père se fût bien introduit dans la culture scientifique américaine (new nurturant father, increased involvement), après que l’utilisation de la situation étrange se fût banalisée (le protocole avait été mis au point par Ainsworth en 1978), on se demanda logiquement si le type d’attachement mis à jour avec la mère (type B: secure, sécurisé ou en sécurité; types A et C : insecure avoidant, insécurisé évitant et insecure resistant, insécurisé ambivalent) était identique ou différent lorsque, 6 mois avant ou 6 mois après, on plaçait le même enfant en contexte paternel. Cette question posée au début des années 1980 n’était pas anodine car le contenu de la réponse pouvait inciter les uns à soutenir que le type d’attachement (A, B ou C) à une personne dépendait de la nature de la relation nouée antérieurement avec cette personne: il conviendrait dans ce cas de mettre l’accent sur les différences de classification entre les duos mère-enfant et pèreenfant; le contenu de la réponse pouvait inciter les autres à soutenir que le type d’attachement à une personne dépendait surtout du tempérament de l’enfant: dans ce cas on porterait prioritairement attention aux ressemblances entre les deux duos. Dans un premier temps, les conclusions tirées des travaux simultanés de Main et de Grossmann allaient plutôt dans le sens de la conception relationnelle (en d’autres termes, existentielle). Le type d’attachement d’un enfant semblait déterminé par l’histoire de vie familiale puisque le taux de non concordance entre les deux duos s’avèrait assez élevé: 36 cas sur les 61 étudiés par Main (1981); 26 cas sur les 46 étudiés par Grossmann (1981). On peut imaginer que ces deux chercheurs ne donnaient pas alors beaucoup d’importance au fait que les cas de concordance atteignaient déjà sur leurs propres données une proportion de plus de 40%! Cette perspective constructiviste a toujours eu la préférence de Main: en 1998, elle se prononçait encore en faveur de la thèse de « l’indépendance entre la classification de la situation étrange à la mère et celle au père » (Main, 1998). Après les années 1980-85, cette thèse de l’indépendance a été contredite par au moins trois groupes d’observateurs. D’abord par Belsky et Rovine (1987), ces chercheurs objectant que la situation étrange permettait de différencier deux composantes: une composante tempéramentale qui serait propre à l’enfant (pris comme invariant) et donc identique avec chaque parent, une composante relationnelle qui serait propre à l’histoire singulière des interactions et donc pas nécessairement semblable en contexte maternel et en contexte paternel. Ensuite par Fox, Kimmerly et Schafer (1991) auteurs d’une méta-analyse dans laquelle la règle de la concordance inter-parentale valait pour 393 cas sur 672 : cette forte proportion de similitude entraîna les auteurs à mettre l’accent sur l’importance du tempérament de l’enfant et à soutenir la thèse constitutionnaliste. Enfin par Van Ijzendorn et De Wolff (1997), auteurs d’une nouvelle méta-analyse venant renforcer la thèse de la concordance inter-parentale: ici, le nombre de similitudes devenait nettement majoritaire, 588 cas sur 950. Au vu des données chiffrées, on aurait tendance à penser que la thèse constitutionnaliste est de plus en plus accréditée par les études comparatives mais doit-on trancher uniquement à partir du « statistiquement significatif »? Sûrement pas ! En 2001, la solution de sagesse consiste sans doute à s’en tenir à l’idée qu’il existe « une spirale de transactions entre le tempérament du nouveauné, la sensibilité du parent (et donc les interactions avec son enfant) et la qualité de l’attachement », interprétation que Crittenden dès 1995 (in Karmaniola, 2002) et Balleyguier en 1998 appliquent à la relation mèreenfant et qui pourrait valoir aussi pour la relation père-enfant. L’hypothèse semble tout à fait plausible mais il faut poursuivre la recherche avant de se prononcer avec plus de certitude sur une question idéologiquement aussi chargée (retour au vieux débat sur l’influence relative de l’inné et de l’acquis).
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    normal Re: Lien père-bébé de Jean Lecamus

    Message par Darkzapatiste Mar 30 Sep 2008 - 8:47

    La stabilité et la validité prédictive du lien

    Les études sur la qualité du lien ont pris une autre tournure au début
    des années 1990 lorsque la curiosité s’est élargie jusqu’à la comparaison des qualités métrologiques de l’évaluation opérée en situation étrange: que constate-t-on chez les pères au regard de ce qu’on constate chez les mères?
    • Pour ce qui est de la stabilité de la forme d’attachement au père, les
    données récentes paraissent plutôt contradictoires. Les unes tendraient à nous laisser croire que la stabilité du lien au père est du même ordre que la stabilité du lien à la mère: ainsi Cox, Owen, Henderson et al. (1992) furent amenés à se prononcer en faveur de la continuité développementale dans le lien enfant-père puisque dans leur recherche les qualités de l’interaction à l’âge de 3 mois (ainsi que le temps de présence auprès de l’enfant) étaient en corrélation avec la sécurité de l’attachement évaluée en situation étrange à l’âge de 12 mois. Les autres inciteraient à mettre en doute ce type de liaison: ainsi Volling et Belsky (1992) aboutirent à la conclusion qu’il était impossible de prédire la qualité de l’attachement enfant-père évaluée en situation étrange à l’âge de 13 mois à partir de observation des interactions menée aux âges de 3 et 9 mois. Dans la discussion de cette étude, les auteurs suggèrent qu’il conviendrait de s’orienter vers la recherche d’autres antécédents (tempérament de l’enfant, conflits à l’intérieur du couple...) ou de mettre en oeuvre d’autres moyens d’investigation. Le moins qu’on puisse dire est que la réponse à la question posée reste encore partielle et même assez confuse.

    • Si on considère maintenant le problème de la validité prédictive de l’attachement au père, on s’avance sur un terrain à peine un peu plus sûr. La conclusion qui semble prévaloir est la suivante: alors que des auteurs comme Cassidy, Sroufe... ont confirmé le bon pouvoir prédicteur de l’attachement à la mère au regard de l’adaptation socio familiale et socio-scolaire ultérieure, aucune recherche d’envergure ne semble avoir abouti au même bilan pour l’attachement au père. Selon Suess, Grossman et Sroufe (1992), l’adaptation sociale des enfants de 5 ans est corrélée avec le caractère sécurisé ou non sécurisé de l’attachement à la mère mais aucune liaison de cet ordre n’apparaît quand on traite les résultats obtenus avec le père pris isolément(le coefficient de corrélation le plus élevé s’obtient quand on prend en compte non pas le seul lien à la mère mais l’attachement aux deux parents: father and mother attachments taken together). Là encore, un certain nombre d’inconnues persistent mais on voit mal pourquoi un attachement sécurisé au père ne serait pas un bon prédicteur de l’adaptation socio-affective de l’enfant d’âge pré-scolaire.

    Les modes de transmission des représentations
    d’attachement


    Lorsque après 1985 et plus encore 1990 l’intérêt originel porté aux comportements d’attachement s’est étendu à l’étude de plus en plus précise des représentations d’attachement, celle des fameux Modèles Internes Opérants (MIO), on s’est demandé si le mode de transmission du modèle interne parental était identique selon qu’on considérait le duo mère-enfant ou le duo père-enfant. L’étude de cette question exigeait sur le plan théorique qu’on se rallie à l’idée d’une inévitable transmission intergénérationnelle du modèle interne (working model): c’était, on s’en souvient, une conviction de Bowlby et surtout d’Ainsworth lorsqu’ils faisaient référence au duo mère-enfant. Elle exigeait sur le plan empirique qu’on mette en rapport d’une part les représentations d’attachement du parent, représentations dévoilées et décodées grâce à l’application de l’Entretien d’Attachement pour Adulte (l’AAI conçu par Main en 1985); d’autre part, les conduites d’attachement chez l’enfant jeune ou les représentations d’attachement de l’enfant à partir de 3 ans, représentations appréhendées au travers de l’épreuve des histoires à compléter (cette épreuve a été mise au point par Bretherton en 1990).

    Les conlusions avancées récemment sont les suivantes:
    • Même si l’influence de la mère apparaît comme primordiale, la transmission intergénérationnelle père-enfant semble devoir être considérée comme un fait objectivable: on a constaté une liaison statistiquement significative entre les résultats à l’AAI du père (administré avant la naissance de son enfant) et le type d’attachement présenté par l’enfant à 18 mois. Ainsi, Steele, Steele et Fonagy (1996) ont découvert que 80% des pères qualifiés de sécurisés à l’AAI avaient
    des enfants présentant un attachement sécurisé à 18 mois (en situation étrange); que 59% des pères qui étaient étiquetés comme non sécurisés-non impliqués avaient des enfants insécurisés-évitants. Sur la base de cette forte corrélation, les auteurs concluaient en faveur de la thèse de la contribution du père à la transmission intergénérationnelle des représentations d’attachement.

    • Pour ce qui est du mécanisme de l’influence parentale, les travaux de Miljkovitch, Pierrehumbert, Turganti et al. (1998) vont dans le sens d’une différence de transmission entre mères et enfants d’une part, pères et enfants d’autre part. Les mères sont reconnues comme « influençant la sécurité de l’enfant » par le biais des interactions qu’elles entretiennent avec lui (influence directe). Les pères n’apparaissent pas comme susceptibles de transmettre leurs modèles internes opérants: ils transmettraient plutôt des «modèles sémantiques» c’est à-dire les représentations conformes à ce qui est socialement désirable. A n’en pas douter, nous sommes au coeur de l’un des problèmes de recherche du moment. (Pierrehumbert, 2001; Karmaniola, 2002).

    La spécificité des contributions

    C’est la dernière question soulevée par les théoriciens de l’attachement, c’est aussi la plus délicate à traiter et c’est celle qui risque de bouleverser le plus les connaissances classiques dans ce domaine.. En effet, toutes les études répertoriées jusqu’à ce point de notre article (§ 11 à 14) partaient de l’idée que la situation étrange, moyen d’évaluer le pouvoir de sécurisation des parents, devait convenir de la même façon aux mères et aux pères. Dans cette logique, on comparait les deux catégories de parents sur une seule dimension comme s’ils étaient chargés d’assurer la même fonction: protéger.
    Il n’est pas interdit bien sûr de «mesurer» la capacité de réconfort des pères (on peut même s’étonner que les chercheurs l’aient mise à l’épreuve aussi tardivement !); pas interdit non plus de comparer cette capacité à celle des mères mais l’assimilation implicite des fonctions parentales à la seule fonction de protection nous a peut-être entraînés sur une fausse piste : dès 1992, des chercheurs comme Volling ou Suess ont émis des réserves sur l’application du protocole d’Ainsworth à l’examen de la relation père-enfant. Si en effet on pose comme postulat que le père n’est pas une seconde mère et que les deux parents sont habilités à répondre à deux sortes de « besoins » de l’enfant, le besoin de sécurité (inducteur du comportement de rapprochement, de « l’attachement » au sens strict) et le besoin de stimulation (inducteur du comportement d’éloignement, ou en termes techniques, de « l’exploration »), onen arrive logiquement à concevoir d’autres protocoles d’évaluation.
    C’est sur cette voie que se sont engagés K.E et K. Grossmann (1998) lorsqu’ils ont suggéré des moyens d’investigation mieux ajustés aux rôles spécifiques de chacun des deux parents. Confirmant que la situation étrange convenait bien à l’examen du lien de l’enfant à sa mère, ils ont soutenu que la situation de jeu se prêtait mieux à l’étude de la relation de l’enfant à son père. Dans ce cas, c’est la capacité de « défi » (appelée aussi « l’incitation sensible ») mesurée au cours du jeu qui se révéla comme stable dans le temps: avec des enfants de 24 mois, cette capacité apparut comme prédictrice de la « sécurité » de l’enfant ainsi que de son pouvoir de faire face à des émotions négatives aux âges de 6 et 10 ans. De telles corrélations n’apparaissaient pas quand on mettait en rapport ces deux compétences de l’enfant avec les réactions observées dans les duos père-enfant filmés en situation étrange. Les auteurs ont conclu à la nécessité de respecter les adéquations: jeu et « père stimulant » d’une part, situation étrange et «mère réconfortante » d’autre part, bref de positionner la mère et le père à des places différentes sur « le continuum attachement-exploration ». Cette proposition rejoint la conclusion d’une étude québecoise menée récemment par Dubeau et Moss (1998) sur une population d’enfants d’âge pré-scolaire (âge moyen: 43 mois). La stratégie expérimentale a consisté ici à mettre en rapport la sécurité de l’attachement de l’enfant au parent et les caractéristiques interactives repérées dans des situations d’échanges plus ou moins contraignantes. Les résultats indiquent que les caractéristiques interactives des mères et la participation des enfants sont corrélées avec la sécurité de l’attachement à la mère, et par ailleurs que les enfants ne se distinguent plus lors de leur interaction avec le père en fonction de leur sécurité avec ce dernier. Ces conclusions incitent les auteurs de cette dernière étude à se référer explicitement au modèle parsonien de la mère « expressive » et du père « instrumental », un modèle scientifiquement honorable mais qui, on le sait bien, a légitimé des décennies de déclassement de la femme et de « domination masculine ». Bref, quand on va jusqu’au bout de la logique de Grossmann et de Dubeau, on a le sentiment d’en revenir finalement à certaines positions des années 1960 ou, pour le moins, des années 1970-1980 lorsque la plupart des psychologues du développement américains insistaient sur la distinction et la complémentarité entre les soins maternels et le jeu paternel !

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