La notion de capital social est devenue si importante que la Banque mondiale en a fait l’un de ses principaux critères dans le choix de ses projets de développement. La vie sociale se trouvant par là subordonnée aux impératifs économiques, à l’efficacité et à la productivité, n’y a-t-il pas lieu de craindre le pire pour le sort des plus fragiles dans les sociétés soumises à cette loi? Pour répondre à cette question, il nous faut d’abord préciser le sens de la notion de capital social, ce que nous ferons dans la première partie de ce dossier. Dans la section enjeux, nous réfléchirons sur les conditions dans lesquelles la notion de capital pourra contribuer à protéger les plus fragiles parmi nous et sur les risques de durcissement qu’elle comporte, en raison de son statut de moyen par rapport à une fin d’ordre économique ou écologique. Dans la section essentiel nous réfléchirons sur la qualité des rapports sociaux que la théorie du capital social tend à réduire à leur dimension quantitative.
Le capital social
En moins de vingt ans, suite à l’usage qu’en firent les sociologues Pierre Bourdieu, James Coleman, et Robert Putnam surtout, la notion de capital social a conquis toutes les places fortes de la recherche sur les grandes questions sociales, politiques, économiques et même écologiques. La Banque mondiale l’a placée au centre de son processus de décision. Pourtant la question à l’étude est celle qui retient l’attention des penseurs depuis Platon et Aristote : quels rapports les hommes doivent-ils entretenir avec leur semblable pour vivre dans la paix et l’harmonie à l’intérieur d’un grand ensemble humain, qu’il s’agisse d’une cité ou d’une nation? Quel est donc l’éclairage nouveau qu’a apporté la notion de capital social pour prendre une telle importance en si peu de temps, pour devenir au début du XXIe siècle l’équivalent de la notion de classe sociale au début du siècle dernier?
Pour Pierre Bourdieu, le capital social se situe dans le sillage de la classe sociale, il fait partie au même titre que le capital économique et le capital culturel, avec lequel il coïncide souvent, des facteurs qui déterminent le pouvoir dont disposent les individus et par suite, leurs chances de réussir dans la vie et d’abord à l’école.
Si c’est le mot pouvoir qui résume le mieux la conception de Bourdieu, c’est l’adjectif anglais fungible qui aide le mieux à comprendre la conception de Coleman. À ses yeux le capital social peut prendre diverses formes ou configurations ayant chacune une fonction particulière, mais il n’est pas fungible : on ne peut pas substituer un type de capital social à un autre pour remplir la même fonction. La famille élargie n’est pas la meilleure rampe de lancement d’un projet qui exige la plus haute compétence technique.
Et ce sont les mots association et société civile qui caractérisent le mieux la conception de Robert Putnam. Tocqueville avait observé que la démocratie américaine au XIXe siècle reposait sur la vie associative dans les communautés. De nombreux citoyens participaient activement à une ou plusieurs associations ce qui leur donnait l’expérience de la persuasion par la parole et l’écoute. Putnam a souligné avec force le lien très étroit entre cette vie associative et la société civile. Dans Bowling Alone, ouvrage paru en 2000, Putnam a soutenu que la vie associative est en régression aux Etats-Unis depuis la fin de la décennie mil neuf cent-soixante. Dans d’autres travaux, il a montré qu’une trop grande diversité ethnique réduit le capital social. C’est la principale raison pour laquelle l’œuvre de Putnam suscite tant d’intérêt en ce moment dans les pays où la proportion d’immigrants est importante.
Ce succès s’explique davantage par la quantité de données que Putnam a accumulées et par la rigueur de sa méthode de cueillette et d’analyse que par la clarté de sa définition du concept de capital social. Comme ses mesures portent principalement sur des associations volontaires, des clubs de bridge aux associations charitables, et comme la thèse de Tocqueville sur le lien entre ces associations et la solidité de la démocratie américaine est le point de départ de Putnam, on est tenté de croire que le capital social se réduit à ses yeux aux dites associations volontaires. Ce n’est pas le cas. Le concept de capital social, dit-il, est le conceptual cousin de celui de communauté, et c’est l’expression réseau social qui le résume le mieux, le réseau pouvant être dans les faits aussi bien formel qu’informel, aussi bien nécessaire, imposé par la tradition que voulu ou électif. Si bien qu’on se demande si le concept de capital social ajoute quelque chose au concept de sociabilité. Il ajoute, répond Putnam, l’idée de valeur:« L'idée centrale de la théorie du capital social c'est que les réseaux sociaux ont une valeur. De même qu'un tournevis (capital physique) ou une formation de niveau collégial (capital humain) peuvent accroître la productivité, (individuelle et collective) de même les contacts sociaux influent sur la productivité des individus et des groupes.»1
Le capital social
En moins de vingt ans, suite à l’usage qu’en firent les sociologues Pierre Bourdieu, James Coleman, et Robert Putnam surtout, la notion de capital social a conquis toutes les places fortes de la recherche sur les grandes questions sociales, politiques, économiques et même écologiques. La Banque mondiale l’a placée au centre de son processus de décision. Pourtant la question à l’étude est celle qui retient l’attention des penseurs depuis Platon et Aristote : quels rapports les hommes doivent-ils entretenir avec leur semblable pour vivre dans la paix et l’harmonie à l’intérieur d’un grand ensemble humain, qu’il s’agisse d’une cité ou d’une nation? Quel est donc l’éclairage nouveau qu’a apporté la notion de capital social pour prendre une telle importance en si peu de temps, pour devenir au début du XXIe siècle l’équivalent de la notion de classe sociale au début du siècle dernier?
Pour Pierre Bourdieu, le capital social se situe dans le sillage de la classe sociale, il fait partie au même titre que le capital économique et le capital culturel, avec lequel il coïncide souvent, des facteurs qui déterminent le pouvoir dont disposent les individus et par suite, leurs chances de réussir dans la vie et d’abord à l’école.
Si c’est le mot pouvoir qui résume le mieux la conception de Bourdieu, c’est l’adjectif anglais fungible qui aide le mieux à comprendre la conception de Coleman. À ses yeux le capital social peut prendre diverses formes ou configurations ayant chacune une fonction particulière, mais il n’est pas fungible : on ne peut pas substituer un type de capital social à un autre pour remplir la même fonction. La famille élargie n’est pas la meilleure rampe de lancement d’un projet qui exige la plus haute compétence technique.
Et ce sont les mots association et société civile qui caractérisent le mieux la conception de Robert Putnam. Tocqueville avait observé que la démocratie américaine au XIXe siècle reposait sur la vie associative dans les communautés. De nombreux citoyens participaient activement à une ou plusieurs associations ce qui leur donnait l’expérience de la persuasion par la parole et l’écoute. Putnam a souligné avec force le lien très étroit entre cette vie associative et la société civile. Dans Bowling Alone, ouvrage paru en 2000, Putnam a soutenu que la vie associative est en régression aux Etats-Unis depuis la fin de la décennie mil neuf cent-soixante. Dans d’autres travaux, il a montré qu’une trop grande diversité ethnique réduit le capital social. C’est la principale raison pour laquelle l’œuvre de Putnam suscite tant d’intérêt en ce moment dans les pays où la proportion d’immigrants est importante.
Ce succès s’explique davantage par la quantité de données que Putnam a accumulées et par la rigueur de sa méthode de cueillette et d’analyse que par la clarté de sa définition du concept de capital social. Comme ses mesures portent principalement sur des associations volontaires, des clubs de bridge aux associations charitables, et comme la thèse de Tocqueville sur le lien entre ces associations et la solidité de la démocratie américaine est le point de départ de Putnam, on est tenté de croire que le capital social se réduit à ses yeux aux dites associations volontaires. Ce n’est pas le cas. Le concept de capital social, dit-il, est le conceptual cousin de celui de communauté, et c’est l’expression réseau social qui le résume le mieux, le réseau pouvant être dans les faits aussi bien formel qu’informel, aussi bien nécessaire, imposé par la tradition que voulu ou électif. Si bien qu’on se demande si le concept de capital social ajoute quelque chose au concept de sociabilité. Il ajoute, répond Putnam, l’idée de valeur:« L'idée centrale de la théorie du capital social c'est que les réseaux sociaux ont une valeur. De même qu'un tournevis (capital physique) ou une formation de niveau collégial (capital humain) peuvent accroître la productivité, (individuelle et collective) de même les contacts sociaux influent sur la productivité des individus et des groupes.»1