La définition de la résilience et la polémique sémantique :
Quand le mot "résilience" est né en physique, il désignait l’aptitude d’un corps à résister à un choc. Quand il est passé dans les sciences sociales, il a signifié la capacité à réussir, à vivre et à se développer positivement, de manière socialement acceptable, en dépit du stress ou d’une adversité qui comportent normalement le risque grave d’une issue négative.
C’est la définition de la résilience que donne Boris Cyrulnik dans son livre, Un merveilleux malheur. Et par ce titre en forme d’oxymore il veut dire que l’on s’émerveille devant des enfants qui ont triomphé d’un immense malheur. On change un malheur en merveille en donnant un récit à nos souffrances. La rêverie est en effet un refuge attendu avec impatience pour échapper, le temps d’une parenthèse, à la terrible réalité. Le film La Vie est belle de Roberto Benigni est un exemple de ce que le mensonge érigé en force vitale peut accomplir comme résultat : la préservation d’un enfant plongé dans l’univers des camps de la mort. Mais les mécanismes de défense que l’individu met en place peuvent s’avérer destructeurs pour lui-même. On voit dans le film un officier allemand fuir la réalité dans une obsession du jeu d’esprit, de devinettes dont la recherche des réponses le conduit à la folie.
Psychiatre, psychanalyste, et auteur de bandes dessinées, Serge Tisseron, dénonce l’abus du terme "résilience" qui en fait aujourd’hui le paradigme d’une idéologie du bonheur. De nombreux thérapeutes, et même des gourous veulent faire croire que la résilience serait la réponse magique pouvant se subsituer aux traitements classiques, que le salut passerait par des pratiques auto-engendrées d’estime de soi ou de développement personnel.
Une polémique est née entre les deux psychiatres par tribunes du Monde interposées. Le 17 juillet 2007, Boris Cyrulnik publie l’article "La Résilience et les perroquets de Panurge". Cyrulnik dénonce la banalisation du terme "résilience" qu’il a popularisé dans le monde des sciences sociales. Le mot a pris le même chemin que ces autres qui ont perdu leur sens à force d’être employés en toutes occasions : "faire son deuil", "génocide", etc. S’en est suivi une levée d’oppositions pour contester la valeur de ce terme devenu une baudruche sémantique dangereuse qu’il faudrait combattre. C’est ce que Cyrulnik dénonce : ce panurgisme intellectuel qui nous pousse à suivre ou à contester un penseur sans se donner la peine de savoir de quoi il parle, sans revenir au fondement de ce qui a justifié sa naissance. C’est aussi dangereux que d’employer, sans en connaître le sens et la portée, le mot de "génocide". Il y a eu des perroquets qui ont gonflé le sens du mot, d’autres qui s’y opposent désormais. Le mot devient signe d’appartenance à un de ces deux clans et l’occasion de duels verbaux au cours desquels chacune essaie d’avoir le dessus sur l’autre. La réalité du concept, conclut Cyrulnik, se trouve dans les livres, les laboratoires et chez les praticiens. "Là vous pourrez préciser votre idée et la renforcer, comme l’ont fait ceux qui ont élaboré les mots "inconscient", "génétique" ou "résilience". Mais ce travail est un plaisir lent que n’apprécient pas les perroquets de Panurge."
Serge Tisseron, vient contredire cette conclusion dans un "point de vue" du Monde du 30 juillet intitulé "Du bon usage de la résilience". Pour ce psychiatre, le mot résilience ne peut plus se soumettre à une unique définition scientifique. Ne faut-il pas d’autre part réserver cette désignation aux cas les plus graves ? Il revient sur les éléments mêmes de la définition : que veut dire "réussir sa vie" ? que veut dire "dépasser un traumatisme" si ce dernier resurgit à la génération suivante ? Il dénonce l’emploi du terme à toutes les sauces, jusqu’au développement durable qui est en passe de le récupérer à son tour ! Il rappelle enfin l’idée de Julius Segal, l’un des pères fondateurs de la résilience, qui est de "donner du sens aux épreuves traversées".
Pour sortir de cette querelle personnelle, le mieux est de replacer la résilience dans son histoire et de citer d’autres auteurs :
L’histoire de la résilience :
Enquêtes sur les enfants : Dans les années 60, des chercheurs ont été stupéfaits de constater que des enfants grandissant dans des conditions terribles se développaient normalement. L’étude de la résilience ne portaient alors que sur des enfants (sur les 698 enfants nés en 1955 sur l’île Hauai, de l’archipel des îles Hawaï). Les enfants maltraités ont été étudiés dans les années 70-80. Mais les travailleurs sociaux comme les chercheurs repéraient surtout les personnes qui répétaient la maltraitance qu’elles avaient subie. Mais des études démontrèrent qu’il s’agissait là d’une erreur de perspective car en étudiant ce que deviennent des enfants maltraités une fois adultes, on constate que seule une faible proportion devient délinquante ou maltraitante.
Catherine Lehoux-Fleury (Sans père, ni repères... éditions Bouchène, 2003) ne dit pas autre chose. Si certains destins semblent marqués du sceau de la plus noire fatalité, et si l’idée d’une reproduction intergénérationnelle quasi-automatique de la maltraitance reste encore vivace, son récit vient nous démontrer le contraire : il est toujours possible d’échapper au pire...
Puis les enquêtes ont porté aussi sur les adultes. Le professeur Gustave-Nicolas Fischer et ses étudiants ont étudié les adultes qui ont subi des traumatismes importants (guerre, camp de concentration, cancer, SIDA, deuil...). Le titre de l’ouvrage qui en a résulté, Le Ressort invisible, évoque les ressources insoupçonnées qui ont été mobilisées par ces personnes pour surmonter leur épreuves.
Plus récemment, dans leur beau livre SurVivantes, Esther Mujawayo et Souâd Belhaddad expliquent comment les Tutsis qui possédaient une chèvre ou un lopin de terre ont pu mieux survivre aux traumatismes du génocide. Ces maigres biens furent pour eux une raison de continuer à vivre et un lien maintenu avec la réalité.
La reconstruction affective :
Pour Jacques Lecomte (Guérir de son enfance, éd. Odile Jacob, 2004) "l’individu n’est pas enchaîné par la forme des liens de son enfance, mais peut remodeler progressivement le type de relations affectives qu’il entretient avec son entourage". C’est le fondement même du concept de résilience. La relation affective peut se reconstruire aussi par la haine.
- La haine, moteur de résilience :
Franz-Olivier Giesberg, célèbre patron de presse, a écrit L’Américain (éd. Gallimard, 2004). Voici ce qu’il dit : "Je n’ai jamais cru au Père Noël. On ne peut croire au Père Noël dans une maison où la femme est battue comme plâtre plusieurs fois par semaine." Son récit autobiographique retrace l’histoire de son enfance marquée par une mère fervente catholique jusqu’à l’abnégation et le sens du sacrifice. Elle acceptera toute sa vie son sort de femme battue. Ne pensant qu’à une seule chose, la vengeance, le fils condamnera son père au silence à perpétuité, ne lui adressant plus la parole. Franz-Olivier Giesberg s’est construit sur la haine portée à son père. Aujourd’hui, il lui a pardonné. Et s’il a eu besoin d’écrire son histoire, c’est pour se délivrer du chagrin de n’avoir jamais donné à son père l’occasion de lui parler. A l’opposé de la haine, l’amour peut être moteur de résilience.
- La résilience par l’amour :
Boris Cyrulnik le dit dans Parler d’amour au bord du gouffre (éd.Odile Jacob, 2004) : il existe toujours une possibilité de remanier les apprentissages. Et c’est particulièrement le cas lors de la rencontre amoureuse qui peut tout autant déclencher un processus de résilience que délabrer un conjoint dont l’attachement semblait pourtant bien tissé. Les représentations négatives de soi acquises au cours de l’enfance peuvent s’en trouver modifiées. Autre facteur de résilience, l’entourage, la famille, le groupe qui, lorsqu’ils savent panser et intégrer le traumatisme, font en sorte de ne pas le laisser se développer.
La résilience est devenue, ces dernières années, un concept très en vogue. Pour les uns, il serait la pierre philosophale qui transforme le plomb de la souffrance en or interpersonnel. Pour les autres, il reproduirait la thèse darwinienne de la survivance des mieux adaptés. Quoi qu’il en soit, on sait à présent que la résilience est un phénomène reconstructeur et donc aussi porteur d’espoir pour l’humanité.