site officiel: Personne n'est inemployable
Notre société évite de se confronter à ce qui pose fondamentalement problème : le marché du travail luimême.
Pourtant on peut franchir des montagnes dès lors qu'on change de perspective.
Ainsi, l'association Transfer (prolongement de l'Association de coordination et de recherche pour l'insertion
professionnelle des jeunes [ACRIP], créée en 1982) s'attache à insérer des publics précaires.
Leur slogan :"Personne n'est inemployable"
Leur méthode : l'intervention sur l'offre et la demande (IOD), qui cible les
pratiques de sélection et d'embauche des employeurs à partir de trois postulats, d'une démarche et de dix
revirements fondamentaux.
LES POSTULATS
- L'identité de la personne passe très largement, dans nos sociétés occidentales, par la reconnaissance sociale
liée au travail et au statut professionnel. Pour lutter contre les causes de l'exclusion et non pas seulement
contre ses effets, il faut donc donner la priorité à l'insertion professionnelle sur l'insertion sociale.
- Il faut intégrer tous les individus, surtout les plus précaires (dont les bénéficiaires des minima sociaux) pour
éviter l'exclusion du plus grand nombre et ainsi démonter l'idée que certains sont définitivement
inemployables.
- Dans de nombreuses entreprises, il existe un fort turn-over (surtout pour les postes de première qualification)
qui ne répond ni aux intérêts des salariés ni à ceux des entreprises.
LA DÉMARCHE
A partir de ces diagnostics, l'association opte pour une démarche radicalement différente : travailler sur le
marché du travail, sur les offres d'emploi, plutôt que sur "l'employabilité" des candidats.
L'hypothèse sousjacente est que "les modes de gestion et de sélection de la main-d'oeuvre opérés par les entreprises ont une influence majeure sur la durée de chômage des individus et ont leur part de responsabilité dans la construction de l''inemployabilité' des travailleurs".
LES REVIREMENTS
Cette perspective aboutit à de profonds revirements, tant vis-à-vis des entreprises que des demandeurs
d'emploi.
Travailler avec et sur les entreprises
- Il ne faut pas considérer l'état du marché du travail comme une donnée "naturelle", mais comme un système
social complexe fait de microdécisions souvent obscures. Il est donc possible de déconstruire les idées reçues
des employeurs, leurs positions n'étant souvent pas figées et ne se réduisant pas à des arguments de coût ou de
besoins de flexibilité.
- Outre le temps passé avec le candidat, il faut effectuer un examen approfondi des offres d'emploi, trouver le
maximum d'informations sur l'entreprise, préparer les rencontres avec les employeurs et, au-delà de
l'embauche, assurer un suivi des relations jusqu'à la fin de la période d'essai.
- Il faut mettre l'accent au moins autant sur les conditions d'accueil et d'intégration que sur le recrutement luimême,
et favoriser ainsi une véritable socialisation organisationnelle.
- Il faut organiser des entretiens d'embauche contextualisés ("entretien de mise en relation" avec l'employeur,
le candidat et le chargé de mission). Le candidat peut ainsi se projeter dans un lieu et dans un collectif de
travail.
(Re)valoriser le candidat, lui (re)donner confiance
- Répondre à son urgence (sociale et psychologique) en lui proposant un accès direct à l'emploi marchand afin
de rompre avec la logique de "parcourisation" (les personnes sans projet doivent d'abord passer par bien des
étapes avant d'être "prêtes"). Les équipes IOD fonctionnent sur une logique de proposition plus que
d'orientation ou de soutien.
- Proposer autant que possible un contrat de droit commun (CDI ou CDD d'au moins six mois, temps complet
ou temps partiel choisi) et non une forme sociale dévalorisée d'emploi. Les candidats ont besoin d'un statut
socialement reconnu et d'une stabilité.
- Se concentrer, lors des entretiens, sur l'avenir possible des candidats plutôt que sur leur passé (souvent
difficile).
- Rompre avec la tendance d'une mise en formation automatique. Insérer pour former plutôt que l'inverse.
- Créer des situations de choix et ainsi redonner un sentiment de liberté. La réussite de l'insertion est
nettement plus forte lorsque le candidat a eu le choix parmi plusieurs offres d'emploi.
- Ne pas mettre les candidats en concurrence (ils l'ont déjà trop souvent subi cette situation) pour un même
poste : un poste pour un seul candidat.
Notre propos n'est pas de détailler le fonctionnement concret des équipes IOD. Soulignons simplement
quelques résultats prometteurs :
- environ la moitié des demandeurs d'emploi obtiennent un emploi durable, dont une majorité en CDI et temps
complet ;
- 67 % des contrats sont en CDI, soit trois fois plus que la moyenne nationale ;
- le coût financier par personne sortie en emploi durable en 2005 est de 5 500 euros (contre, par exemple, 8
000 à 9000 pour les sociétés privées).
La démarche IOD nous invite surtout à balayer nos présupposés. Prenons garde, comme le rappelle très
justement Robert Castel, à l'"usage dévoyé de la notion de responsabilité, qui oublie que l'on n'est pas
responsable en soi sans un minimum de conditions nécessaires pour pouvoir maîtriser sa vie".
Il est dès lors nécessaire de passer d'une logique "adaptative" (agir sur ces difficultés personnelles pour
adapter la personne et ses caractéristiques aux exigences des employeurs) à une logique plus "intrusive", c'està-
dire "tournée davantage vers les entreprises et leurs pratiques, sur le plan préventif (aménagement de la
flexibilité externe et gestion prévisionnelle de l'emploi) comme curatif".
article du Monde écrit par Raphaël Wintrebert, directeur de l'Observatoire jeunes & travail
Cf le livre qui explique la démarche: L'insertion malgré tout - L'Intervention sur l'Offre et la Demande - 25 ans d'expérience de Denis Castra et Françis Valls (Préface de Robert Castel)