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    Dedans/ dehors

    DeWill
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    normal Dedans/ dehors

    Message par DeWill Mer 17 Mar 2010 - 19:52

    Depuis début février, un jeune de 16 ans dont j'étais référente au foyer est incarcéré en EPM, en préventive pour au moins 4 mois.
    Je suis allée le voir une première fois une semaine après son incarcération puis, avec sa mère, deux semaines plus tard.
    Il y a peu, le détenu qui se trouvait dans la cellule à côté de la sienne s'est pendu, le jeune a été réveillé par le cri poussé par le surveillant pénitentiaire.

    Lors de la première visite, le jeune atterrissait tout juste, "j'arrive pas à y croire, j'arrive pas à croire que je suis en prison". Dans un même temps,il disait que de toute façon, il fallait que tout ça s'arrête.
    Lors de la deuxième visite, nous avions prévu une synthèse avec le personnel éducatif de l'EPM, son éducateur PJJ, ma chef de service et moi. La mère du jeune nous avait raconté que celui-ci avait tenté de mettre fin à ses jours une première fois à 9 ans en ingérant des médicaments. Que c'était suite à ce que sa soeur lui avait fait (maltraitance d'ordre sexuel) quand il avait huit ans.
    Une plainte avait alors été déposée à la gendarmerie, classée sans suite faute d'éléments. X. a depuis toujours refusé d'en parler, disant que s'il croisait sa soeur il se ferait justice.

    La mère dit qu'avant ces faits, X. était un gamin adorable, dernier enfant d'une famille recomposée il a dix ans d'écart avec la plus jeune de ses demi-soeurs (celle qui l'a maltraité).
    Depuis, c'est la "dégringolade", élève très perturbé à l'école, il a "explosé" dans sa famille jusqu'à frapper sa mère à l'âge de 13 ans, ce qui lui a valu (entre autres) son premier placement.
    Ensuite, c'est un parcours de fugues, d'alcoolisation, de cambriolages, vols en réunion, coups et blessures, consommation de shit...
    X. a "renié" sa famille, leur disant qu'il n'était plus des leurs. Il s'est choisi une nouvelle famille, en l'occurence les gens du voyage chez qui il va à chaque fugue.
    Il dit être l'un des leurs, partager leurs codes et leur vision des choses.

    Il est arrivé au foyer il y a 6 mois, avec la ferme intention de se poser et de reprendre pied dans sa vie.
    Il avançait à son rythme, avait noué de bonnes relations avec les jeunes et les éducateurs et était félicité par "son" juge du fait qu'il se tenait tranquille. Toutefois, quand nous discutions, il disait avoir peur de se ranger et que son casier le rattrappe.

    Mi janvier, j'ai dû me faire opérer, et ai donc annoncé aux jeunes que je partais pour trois semaines, comme un autre collègue référent de X. était lui aussi en arrêt maladie, nous avons décidé en équipe de nommer un autre référent pour cette période (nous sommes trois référents par jeune), car il y avait beaucoup à faire pour X.
    Deux jours après mon départ, les amis de X. sont venus les chercher dans une voiture volée et zou !! deux semaines de fugues, de délits et de mise en danger... qui se soldèrent par une arrestation spectaculaire et une détention préventive.

    X. disait lors de la première visite qu'il était soulagé d'avoir été arrêté, qu'il en avait marre d'avoir peur.. d'être pris. Il était dans le dénuement complet, pas d'habits (que ceux prêtés par l'EPM), pas d'argent pour cantiner, pas de courriers ni de parloirs (sinon son éducateur PJJ).
    Il était très heureux de notre visite (j'étais avec un collègue référent).

    A la suite, nous avons eu un parloir avec un autre jeune (F.) qui précédemment avait vécu quatre ans dans notre foyer et qui est à l'EPM depuis 6 mois...

    Et j'ai croisé un autre jeune qui avait été placé voilà deux ans, mais le placement avait été de courte durée, le jeune ne supportant pas d'être loin de sa famille et fuguant sans cesse pour les retrouver...
    Ce jeune (J.) à qui je parlais du bureau des éducs alors qu'il était en "promenade" avait un regard triste et me disait que depuis deux ans, il faisait des allers retours dehors/dedans.. Que la moitié de sa famille est en taule, qu'il ne reçoit ni courrier, ni visite mais que bientôt, il partira en perm'...


    Lors de la seconde visite, J. venait tout juste de rentrer à l'EPM, il était parti en fugue lors de sa permission et avait commis des délits.
    Quand il m'a vue, de la salle de sport, il m'a adressé un bras d'honneur.
    Je l'ai recroisé une heure plus tard, il m'a tendu la main (tellement pleine de cicatrices que je ne lui ai serré que deux doigts). Il était d'une tristesse écrasante.

    Nous n'avons pas eu le temps d'aller voir F. mais avons transmis nos excuses et salutations par le biais de son éducatrice réfèrente à l'EPM.

    Le deuxième parloir a eu lieu dans la salle commune de l'unité dans laquelle X. se trouve, le bureau de parloir étant occupé. Nous étions donc, ma chef de service, X. et moi installé sur des canapés en angle, avec une table basse devant nous.
    X. allait très mal, lors de la synthèse, les éducs nous avaient informés qu'il prenait des médicaments pour dormir depuis deux semaines. Mais que l'équipe médical, sous prétexte de responsabiliser les jeunes, distribuait les médocs le matin sans vérifier la prise et la totalité du traitement le vendredi pour le week end.
    Nous les avons alerté sur le danger d'une T.S. D'ailleurs, X. avait demandé à plusieurs reprises à rencontrer le psychiatre depuis le suicide de son voisin.. il parlait aux éducs et surveillants de ses envies de mourir.
    X., après avoir dit combien ça lui avait fait plaisir qu'on conduise sa mère à l'EPM (elle ne peut y aller seule) et demandé des nouvelles des jeunes et éducs du foyer a rapidement parlé de ses idées morbides.
    Nous l'avons écouté avec beaucoup d'attention puis j'ai rebondi sur sa tentative de suicide quand il avait neuf ans en lui demandant s'il s'en rappellait.
    X. a alors "lâché", il a parlé du mal que sa soeur lui avait fait, de ce qu'il avait souffert à cette époque. Je prenais le relais, le relançait comme je pouvais. Passant parfois à un autre sujet pour voir s'il voulait y revenir et il y revenait.
    Il disait alors ne pas pouvoir en parler, mais tout dans son attitude montrait qu'il sollicitait que je continue à lui parler du "petit X." à qui on avait fait du mal et qui continuait à hurler..
    Le jeune s'est saisi de cette image et a dit qu'il aimerait rassurer le petit X. car maintenant, le grand X. est fort et peut le protéger.

    Et puis tout à coup, il faut s'arrêter, le parloir est fini, on retraverse la cours où les jeunes enfermés nous interpelle sans qu'on les voit, où l'on croise des gamins perdus et aux aguets, on se retrouve dehors, avec la mère du jeune qui est secouée...
    et on part...

    Et vient le temps des questions...

    Les éducs de l'EPM nous appellent régulièrement et dès qu'ils sont inquiets pour X., ils nous sollicitent aussi pour les autres jeunes que l'on connaît, car nous pouvons apporter de l'affection à ces jeunes.
    Je m'explique, avec eux, nous avons un passé commun, fait de quotidien, de moments de rire et de crise, nous sommes des personnes qui faisons trois heures de route pour les voir quelques instants, pour leur mettre la main sur l'épaule, leur parler de leurs changements physiques, de personnes connues en commun..
    Nous sommes des transmetteurs de ce qui continue de vivre alors que pour X. "le temps ici est pas vrai, on attend la sortie"...

    En lien avec la PJJ, nous allons tenter de formaliser ce travail, car bien entendu, quand un jeune est incarcéré, une main levée est prononcée... donc nous n'avons ni les financements ni la légitimité de continuer le suivi de ces jeunes.
    Mais en voyant J. et sa réaction, je me suis dit quelle violence que de ne pas prendre le temps d'un parloir avec lui alors que nous sommes là !
    Quand j'étais éduc en prévention et que j'allais aux parloirs de Fleury, les jeunes que je voyais me disaient " y a untel au B3, ça serait bien que tu le vois, il est entré tel jour et a pas de visite".. je venais pour un ou deux parloirs et il n'était pas rare que j'ai trois ou quatre parloirs...

    Je me pose des questions aujourd'hui sur ce temps "entre les murs", ce temps où la relation éducative prend une toute autre signification pour les jeunes en détention.
    Comment nous situons-nous dans ce temps ? Dans cet espace si "dépersonnalisant" ? Devenons-nous pendant cette période des témoins de l'individualité du jeune, étant détenteurs de moments en commun hors les murs ?
    Sommes nous dans le seul soutien affectif et sommes nous alors en capacité de continuer à travailler avec le jeune autour de ses actes, de son histoire ?
    Pouvons-nous dépasser le cadre éducatif (qui, je me trompe peut être est à mon sens plus le faire avec, vivre avec et écoute empathique) pour "profiter" de ce moment de fragilité et de questionnement du jeune et l'aider à trouver les mots pour dire ses maux , pour se réapproprier son histoire ?
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    normal Re: Dedans/ dehors

    Message par Zita Sam 20 Mar 2010 - 7:27

    Bonjour DeWill,
    Témoignage très concis, très explicatif.
    Je n'ai pas de réflexion de professionnelle a y apporter car je ne connais pas le milieu carcéral cependant je pense que la réflexion que tu poses est très intéressante.
    La prison est un endroit hors du commun et les questions sur notre rôle et notre place à l'intérieur de cet endroit méritent qu'on s'y attarde.
    D'autant plus que la souffrance, l'exclusion se voient exacerbées dans ces moments de privation de liberté.
    J'espère que d'autres témoignages viendront étoffer cette discussion. Smile

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