j'espère que le sujet n'a plus l'urgence qu'il avait quand tu l'as posté, mais pour travailler avec le même public (quoique plus jeune), j'ai quelques pistes de réflexion à te proposer, un petit "décadrage" ;-)
Bon il est important pour moi de préciser, que les jeunes qui sont
placés sont considérés comme les pires de Suisse. Nous avons un
catalogue de sanctions qui peuvent paraître très sévères pour des ados,
mais qui sont en rapport avec la "dangerosité" de la plupart pour qui
la violence est banalisée et quasi normale. Certains jeunes sont là
pour assassinat, viol, etc. Donc nous avons notamment des cellules
d'isolement où les jeunes peuvent être placés pour 1 à 6 jours, ce pour
des faits graves (violence contre les personnes, fugues, refus de
travail, menaces contre la vie des autres, etc.) Honnêtement, il ne
serait pas possible de travailler sans cet outil. Ces jeunes
connaissent la prison préventive, les arrêts disciplinaires, et pour la
majorité, ne prennent pas au sérieux le règlement tant qu'ils n'ont pas
vécu la sanction annoncée.
L'escalade actuelle, qui a commencé
depuis 4 ans, c'est l'agression physique grave envers le personnel,
personnellement je me suis fait casser le nez lorsque j'ai demandé à un
jeune de se retirer en chambre ! Le dernier jeune qui a provoqué 2
incendies sérieux avec intervention du corps des pompiers a clairement
motivé son geste par "je fous le feu, comme ça le juge me mettra en
tôle et je saurais précisement la date de ma sortie et puis je serai
reconnu comme un gars cool dans le quartier !"
Juste un premier truc niveau vocabulaire, le droit français fait une énorme différence entre un assassinat et un homicide. Un assassinat est un homicide volontaire avec préméditation, soi d'après ce que je sais des statistiques françaises en matière de criminalité égal à 0% des homicides commis par des mineurs.
Et j'ai eu affaire et ai encore affaire à des jeunes qui ont commis certains faits (hormis dont l'assassinat) dont tu parles. C'est certain que la plupart d'entre eux n'ont pas peur d'être enfermés, ni de la mort, ni des coups (d'après ce qu'ils disent), en revanche, notre meilleur outil (à mon sens) est la peur de perdre quelque chose. Or qu'ont-ils à perdre ? Rien. Notre travail est aussi de les aider à trouver quelque chose qui vaille la peine d'être vécue, quelque chose de cher (dans le sens à chérir). Et souvent, assez rapidement, je le vois dans mon foyer actuel, la seule chose qu'ils ont peur de perdre c'est l'estime qu'on a d'entrée de jeu à leur encontre.
Quand on accueille un jeune, le contrat semble être inversé par rapport à ton foyer. On lui dit "voilà ce qui est permis, voilà ce que l'on peut faire pour toi" et on lui dit aussi que la page est blanche et que c'est à lui de donner le tempo, d'écrire dessus...
Bon, je parle un peu imagé, mais j'espère que vous comprenez.
Par ailleurs, nous sommes 18 éducs pour une capacité d'accueil de 8 jeunes. Nous faisons les 3/8, et sommes en permanence au moins deux, dans une petite structure. Nous faisons les courses, la préparation du repas, le ménage, bref nous sommes très présents physiquement. Le bureau éducatif est ouvert aux jeunes qui peuvent venir y lire leur cahier en présence des éducs, lire le journal, faire un jeu sur l'ordi, mettre de la musique sur leur MP3, passer un coup de fil etc... et tout aussi bien, chercher le conflit avec l'éduc présent, claquer la porte et la reclaquer s'il a raté son coup et pas fait tombé le panneau de liège qui y est suspendu...
Nous accueillons aussi les gamins dont plus personne ne veut dans la région, les gamins qui moisissaient en HP faute de place ailleurs.. les gamins dont c'est la dernière chance avant la taule... on fait le pari de la relation, de la rencontre.
Comme dans ton foyer, quand un jeune va trop loin et qu'il faut sanctionner, la réunion d'équipe est houleuse... quelle sanction ? Nous n'avons pas de cahier qui prévoit les sanctions encourues, on adapte toujours par rapport à l'acte posé et la personnalité du jeune. Autant que possible, on est dans la réparation, en présence d'un éduc bien sûr, dans le faire-avec.
Je me questionne aussi sur ce que j'ai souligné plus haut et rappelle : "faits graves (
violence contre les personnes, fugues, refus de
travail, menaces contre la vie des autres, etc.)"... là encore un décadrage, la fugue, à mon sens n'est pas un fait grave, ni le refus de travail, en tout cas pas autant que les violences contre les personnes ou menaces de mort... La fugue est un "outil" que les jeunes semblent utiliser pour tester notre capacité à les réaccueillir.. Dans notre foyer, quand nous lisons les dossiers des jeunes, nous sommes toujours ébahis par le nombre de fugues qu'ils avaient faites dans les précédents foyers... et chez nous ils fuguent très rarement (certains très gros fugueurs, juste une fois, en début de placement) . Pourquoi cette différence ? Pourquoi abandonner l'idée de fugue ? Parce que pour nous accueillir le retour du fugueur c'est aussi important que l'accueil du premier jour, on prend beaucoup de temps avec lui pour parler, rassurer sur notre désir de le savoir ici, en sécurité...
Nous n'avons pas d'atelier particulier et ne sommes donc pas concernés par le refus de travail, en revanche, les jeunes sont pour la plupart en âge d'obligation scolaire et pourtant déscolarisés depuis souvent bien longtemps... va-t-on les punir de ne pas réussir à retourner à l'école ? Non, l'école, ça se gagne, c'est une chance, et quelque chose de difficile... donc, on prend le temps... on laisse le gamin ne rien faire de ses journées, il glande, galère, s'ennuie, voit les autres jeunes partir le matin et revenir le soir avec plein de trucs à raconter.. et un jour, ils sont prêts...
Et la dernière chose que j'avais souligné, je crois que si j'étais placée en foyer quel que soit l'acte que j'ai posé, si on ne me dit pas quand je pourrais sortir (fin de la mesure), je préférerais aussi aller en prison et connaître ma date de sortie, quitte à frapper quelqu'un pour obliger à me changer de lieu... ne pas savoir où ça finit est hyper angoissant qu'on se sente bien ou mal dans un foyer, il me semble hyper important de savoir pour combien de temps on y est afin de se projeter dans l'avenir, car, après tout, c'est ce qu'on demande sans cesse aux jeunes, c'est ça aussi grandir, non ?